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Refondation du modèle de développement marocain
Contribution à la refondation du modèle de développement du Maroc
le 26 mars 2018
M. Mohamed Kabbaj, dont nous publions ci-après une tribune sur la refondation du modèle de développement du Maroc, n’est pas un inconnu pour nos lecteurs et nos internautes. Ancien haut fonctionnaire du ministère des Finances, aujourd’hui à la retraite, il a déjà fait bénéficier nos deux supports de ses analyses, pertinentes et exhaustives, notamment sur des questions économiques, monétaires ou autres.
Certes, on peut parfaitement ne pas accepter tous ses jugements et prises de position, mais il vient ici apporter une pièce importante au débat voulu par SM le Roi sur un nouveau modèle de développement pour notre pays. Un débat nécessaire mais, malheureusement, si peu présent sur les scènes publique et médiatique.
Fahd YATA
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Comme l’a rappelé Sa Majesté le Roi Mohammed VI dans son discours d’ouverture de la session parlementaire en octobre 2017, il est temps pour le Maroc de reconsidérer son modèle de développement pour le mettre en phase avec l’évolution que connaît le pays, vu que ce modèle s’avère aujourd’hui inapte à satisfaire les demandes pressantes et les besoins croissants des citoyens, à réduire les disparités sociales et régionales, et à réaliser la justice sociale.
Le Souverain forme ainsi le souhait que soit élaborée, dans le cadre d’une approche participative, une conception intégrée de ce modèle, propre à lui insuffler un nouveau dynamisme. En outre, le Souverain appelle tout un chacun à faire montre d’objectivité en appelant les choses par leur nom, sans complaisance ni fioriture, et en proposant des solutions innovantes et audacieuses, quitte à s’écarter des méthodes conventionnelles appliquées jusqu’ici, ou même, à provoquer un véritable séisme politique.
De mon point de vue, les insuffisances du modèle de développement marocain actuel découlent, pour l’essentiel, des limites des politiques économiques d’inspiration néolibérale que le Maroc n’a cessé de mettre en œuvre depuis 1983, sous les injonctions et les recommandations des institutions de Bretton Woods, à savoir le FMI et la Banque mondiale, et dont les maîtres mots sont dérégulation, désengagement de l’État, privatisation et ouverture des marchés.
Il est symptomatique, à ce titre, que même la Banque mondiale, à la lecture de son dernier Mémorandum intitulé ʺLe Maroc à l’horizon 2040ʺ, donne l’impression d’avoir pris conscience des limites du modèle de développement suivi par le Maroc, et recommande à ce dernier de le revoir. Cependant, ses recommandations au Maroc pour percer le ʺplafond de verreʺ, demeurent, pour l’essentiel, en droite ligne avec la doctrine néolibérale ; les mettre en œuvre dans les conditions prescrites par cette institution, reviendrait pour notre pays, au mieux, à se maintenir sur un sentier de croissance médiocre, et au pire, à aller au devant de graves crises économiques et sociales qui risqueraient de mettre à l’épreuve sa stabilité politique (Cf. mon article ʺles limites à l’émergence économique du Marocʺ publié dans les colonnes du n° 1035 de la Nouvelle Tribune).
Le Maroc se trouve en fait à la croisée des chemins, soit il continue sur le même sentier de croissance médiocre comme l’y encourage les institutions de Bretton Woods et une technocratie, et même une classe politique, largement soumises à leurs vues, soit il s’affranchit de la tutelle des dites institutions sur sa politique économique en imprimant à son modèle de développement les inflexions et les réorientations nécessaires à cet effet, et d’emprunter, ce faisant, la voie de l’appropriation de son modèle de développement qui mène à l’émergence économique et au développement.
Replacer l’action de l’État dans son contexte véritable
Il revient, au préalable, aux autorités marocaines, en faisant le choix de la seconde alternative, de replacer l’action de l’État dans son contexte véritable. Le Maroc est un pays en développement à revenu intermédiaire, et aspire à accéder à la catégorie de pays émergent. Comme ce fut le cas pour les pays actuellement développés ou ceux qualifiés d’émergents, l’action de l’État marocain sur le plan économique pour la réussite de cette transition s’avère donc essentielle et même incontournable.
Certes, l’on ne peut nier que l’État au Maroc cherche à jouer un rôle de locomotive du développement économique du pays à travers les importants investissements publics qu’il réalise, les chantiers des grands travaux qu’il initie et les nombreux programmes sectoriels qu’il met en œuvre. Néanmoins l’efficience des investissements réalisés et des programmes mis en œuvre se trouve largement réduite et leur impact socioéconomique fortement amoindri, car, dans le même temps, l’État marocain, incapable de se soustraire de la vulgate néolibérale véhiculée par les institutions de Bretton Woods, l’enjoignant à se désengager des activités économiques, se prive des moyens humains et matériels nécessaires à la pleine réussite de son action économique.
L’État marocain se trouve ainsi en porte-à-faux, entre la nécessité de s’impliquer dans le champ économique, et les injonctions des institutions de Bretton Woods, qu’il n’arrive pas à éluder, de s’en désengager. Il est temps pour l’État marocain de remédier à ce manque de cohérence qui handicape son action économique, et le met dans l’incapacité de satisfaire les aspirations de ses citoyens à une vie meilleure.
Bien sûr, le rôle moteur à assumer par l’État sur le plan économique dans les pays en développement, devra être dynamique, évolutif, en fonction du stade de développement atteint par ces pays et du niveau de renforcement et de compétitivité de leur secteur privé qui demeure le principal créateur de richesses. En effet, il ne faut pas perdre de vue que la chute du mur de Berlin a scellé définitivement la faillite de l’économie dirigée ou étatisée, et a consacré la suprématie de l’économie de marché qui, toutefois, ne signifie nullement l’exclusion de l’État du champ économique.
Bâtir une administration compétente et citoyenne
Dans ces conditions, pour réussir son émergence économique, le Maroc a donc besoin de bâtir une administration publique moderne, performante et citoyenne, constituée de véritables agents du développement pénétrés du sens de l’intérêt général. Les autorités marocaines ont à comprendre que les agents de l’administration publique incarnent l’État aux yeux des citoyens. Tout dysfonctionnement de l’administration publique est ainsi perçu par les citoyens, à juste titre, comme un dysfonctionnement de l’État, comme un manquement de celui-ci à ses obligations à leur égard.
La question à se poser par les dites autorités n’est pas celle de savoir si le coût de l’administration publique est conforme aux capacités de l’économie en recourant à des critères d’évaluation totalement arbitraires, mais plutôt celle relative aux moyens humains et matériels à mettre à la disposition de celle-ci, et au mode de gouvernance à lui appliquer, afin qu’elle accomplisse convenablement et rationnellement ses missions socioéconomiques, et que l’État accomplisse subséquemment ses obligations vis-à-vis de ses citoyens.
Elles doivent savoir que déconsidérer l’administration publique revient à déconsidérer l’État, et que justement l’objectif du néolibéralisme, né dans un contexte historique et un environnement socioéconomique qui n’ont rien à voir avec la réalité marocaine présente, c’est de déconsidérer l’État coupable aux yeux de ses adeptes, de brider l’expansion du secteur privé.
Elles doivent comprendre que contrairement à ce que véhiculent les tenants du néolibéralisme, l’administration publique n’est pas condamnée à demeurer structurellement déficiente, et que sa réforme pour en faire un outil de développement performant, est, avant tout, une question de volonté politique.
Le dernier rapport de la Cour des comptes sur la fonction publique constitue, à cet égard, un autre indicateur du degré d’imprégnation de la technocratie marocaine des thèses néolibérales, source d’incohérence dans la politique économique publique. Pour une fois, tout de même, ce rapport reconnaît que la fonction publique marocaine n’est pas en sureffectif, mais juge néanmoins que le Maroc s’offre une fonction publique qui dépasse les moyens de son économie. Vu le déficit flagrant en ressources humaines dans des secteurs comme la santé, l’éducation, la justice, la sûreté nationale, le rapport de la Cour des comptes constitue de fait, un appel à une démission de l’État de ses obligations vis-à-vis des citoyens de leur fournir des services publics convenables, pour ne pas dire de qualité.
Pour tenter d’étayer son analyse, la Cour des comptes présente des statistiques comparatives au niveau international, relatives au poids de la masse salariale par rapport au PIB. Ce ratio atteindrait 11,84 % au Maroc en 2016, contre 7,2 % en Egypte et 9,4 % en France. L’indigence des salaires de la fonction publique en Egypte est notoirement connue, situation qui amène nombre de fonctionnaires égyptiens à chercher au moins un second emploi pour pouvoir survivre, ce qui ne manque pas de peser sur la qualité des services fournis aux citoyens par l’administration publique de ce pays. L’Egypte, en ce domaine, ne constitue pas un modèle pour le Maroc, ce serait plutôt un contre-modèle.
Pour le cas de la France, pays développé au PIB par habitant treize fois celui du Maroc, il est dans l’ordre des choses qu’elle affecte une part relative moins importante de sa richesse nationale aux coûts salariaux de ses services administratifs, que le Maroc pays en développement. Le rapport de la Cour des comptes omet, cependant, de mentionner que le taux d’administration en France s’élève à 82 fonctionnaires pour mille habitants, contre seulement 23 fonctionnaires pour mille habitants au Maroc.
La comparaison des niveaux des salaires publics avec ceux du secteur privé, présentée dans le rapport de la Cour des comptes pour montrer, dans le même but, que les premiers sont supérieurs aux seconds, n’est pas non plus significative. Il est bien connu que le taux d’encadrement est faible dans le secteur privé pris globalement, ce qui est de nature à tirer le salaire moyen vers le bas. Il eût été plus pertinent de comparer les salaires accordés à une même catégorie d’agents dans les deux secteurs, comme les ingénieurs, les informaticiens, les médecins etc. ; il n’est pas certain que l’on aboutirait alors à la conclusion que privilégie la Cour des comptes. D’ailleurs, même avec un salaire moyen en 2016 de 7.700 dh et minimum de 3.000 dh, l’on ne peut soutenir, comme le suggère la Cour des comptes, que le fonctionnaire marocain serait sur-rémunéré.
Réformer l’administration publique pour en faire un corps d’élites au service du développement socioéconomique du pays, et non procéder à son nivellement par le bas pour en faire un organe subalterne comme le recommandent les institutions de Bretton Woods, constitue un défi essentiel pour l’État marocain, ne pas le relever avec succès, revient à hypothéquer l’émergence économique du Maroc et même sa stabilité politique.
Promouvoir un secteur privé performant et innovant :
À suivre les tenants du néolibéralisme, l’État, de par ses lois et règlements, sa fiscalité, son immixtion dans le champ économique, sa bureaucratie, constituerait une entrave aux ambitions des entrepreneurs privés dans leur recherche du profit matériel et la création de richesses. En somme, le marché, processus d’ajustement entre les actions économiques des individus, devrait se réguler tout seul, sans l’intervention de l’État, grâce à cette « main invisible » qu’évoquait l’économiste Adam Smith.
Les adeptes du néolibéralisme, véhiculent ainsi, une vue idyllique et fausse du marché, sans rapport avec la réalité. En effet, les États ont joué un rôle déterminant, éminemment positif, dans le processus de développement des pays actuellement développés. Non pas en se recentrant sur leurs missions dites régaliennes, mais plutôt en intervenant parfois en tant qu’entrepreneurs dans le processus de production des richesses dans des secteurs où le privé n’avait pas encore la capacité d’intervenir, en construisant et développant les infrastructures nécessaires à l’activité économique, en promouvant des innovations, en subventionnant et protégeant des industries naissantes, en luttant contre la pauvreté et la précarité par des opérations de redistribution du revenu et des richesses nationales, mais aussi, en veillant à corriger les excès du marché et à remédier à ses insuffisances.
Vu l’importance de l’écart de développement entre les pays développés et ceux actuellement en développement, l’implication des États dans le domaine économique, pour sortir ces derniers du sous-développement n’en devient que plus nécessaire.
Il faut en finir avec cette vision manichéenne erronée, véhiculée par les adeptes du néolibéralisme, opposant d’un côté, l’État et son administration en tant qu’entraves au développement, et de l’autre le secteur privé bardé de toutes les vertus. Il serait malvenu de confondre l’intérêt du pays avec celui du secteur privé, et que l’État démissionne en conséquence, de ses obligations socio-économiques vis-à-vis de ses citoyens, comme semble être la tendance actuellement au Maroc sous la pression des institutions de Bretton Woods. Persister dans cette voie, revient pour les autorités marocaines à battre en brèche ce qui fait l’exception marocaine, à savoir l’existence d’un véritable État multiséculaire fort, des institutions étatiques solides, et un sens de l’État prégnant, partagé par la population.
Il convient donc, au stade actuel du développement de notre pays, que l’État œuvre à l’émergence d’un secteur privé national performant et innovant. L’une des premières tâches de l’État marocain, à cet égard, consiste à mettre les entreprises marocaines sur la voie de la maîtrise technologique, afin qu’elles puissent devenir parties prenantes de « cette nouvelle économie de la connaissance » en train de prendre forme sous nos yeux, centrée sur l’interaction entre l’innovation, la formation et l’organisation.
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En effet, comme l’a mis en évidence Joseph Schumpeter, au début du XXème siècle, le système économique international n’est pas stationnaire, il est en constante évolution sous l’effet des innovations induites par le progrès technique. Les pays développés se trouvent être à la pointe de cette dynamique, grâce à leur maîtrise technologique et leur capacité à gérer le flux du progrès technique.
Alors que les pays en développement, pour leur part, se trouvent être ceux dont l’économie demeure tributaire de technologies et de modes d’organisation initiés par les pays développés. Le sous-développement s’avère ainsi, être le produit de la dépendance. Par conséquent, pour un pays en développement, comme le Maroc, accéder au stade de pays émergent, c’est-à-dire réduire significativement l’écart de développement avec les pays avancés, passe nécessairement par l’acquisition d’une relative maîtrise technologique, ouvrant à ses entreprises la capacité de contribuer, même modestement au départ, à la gestion du flux du progrès technique.
À cet égard, il incombe à l’État marocain, dans la perspective de refonder son modèle de développement, d’accorder plus d’attention et de moyens à la réforme et l’amélioration de la qualité des enseignements notamment scientifiques, et à la recherche scientifique et technologique, d’encourager et promouvoir les partenariats entre les universités marocaines publiques ou privées et leurs homologues étrangères, ainsi que les partenariats intergouvernementaux en matière d’éducation, de créer des organismes publics ou semi-publics chargés de promouvoir l’innovation technologique dans des domaines spécifiques, à l’instar du CNRS et du Commissariat à l’énergie atomique en France (CEA) ou la NASA aux Etats-Unis, de lier certains investissements étrangers au Maroc ou l’acquisition de gros équipements à des transferts de technologie, de protéger de la concurrence étrangère des industries naissantes marocaines porteuses de progrès technique etc.
Veiller à l’amélioration de la disponibilité et la qualité des services fournis aux citoyens par l’administration publique :
La disponibilité et la qualité des services fournis par l’administration publique aux citoyens, ont pâti des conséquences d’une politique économique d’inspiration néolibérale, qui, guidée par le souci de restreindre l’action socioéconomique de l’État, ignore la corrélation étroite qui doit lier dépenses d’investissement et celles de fonctionnement.
Il existe, aujourd’hui, un gap important entre les besoins réels en moyens de fonctionnement humains et matériels des services publics existants et des infrastructures socioéconomiques réalisées, comme les hôpitaux publics, les centres de santé, les établissements d’enseignement primaire, secondaire et supérieur, le réseau routier, les services de justice et de sécurité etc., et les moyens de fonctionnement mis à leur disposition.
Combler ce déficit par la valorisation des services publics et des infrastructures socioéconomiques existantes, en leur assurant les moyens nécessaires à un fonctionnement adéquat répondant aux attentes légitimes des citoyens, devrait constituer une priorité pour les autorités marocaines, même si cela devait se traduire par marquer une pause momentanée dans le lancement de nouveaux grands projets.
En effet, la situation actuelle, marquée par des services publics insuffisants en disponibilité et qualité, qui affecte surtout les catégories sociales démunies et aggrave ainsi les disparités sociales, n’est plus tolérable socialement, et ne manque pas d’être exploitée par des mouvances radicales qui cherchent à déstabiliser le pays.
La corruption endémique qui continue de sévir dans certains rouages de l’administration publique, contribue également à la dégradation des services rendus aux citoyens, en détournant au profit de corrompus, des fonds publics destinés à servir l’intérêt général. La lutte vigoureuse contre ce fléau, devrait constituer un autre volet prioritaire de la politique gouvernementale.
L’intégration du Maroc dans l’économie internationale :
La baisse des barrières commerciales, la libéralisation du commerce agricole, ainsi que l’assouplissement du régime et du contrôle des changes en vue de parvenir à la pleine convertibilité du dirham à moyen terme, constituent le leitmotiv récurrent des recommandations des institutions de Bretton Woods à l’adresse du Maroc.
Ces recommandations visent à intégrer le Maroc dans un système de libre-échange mythique qui se trouve au cœur du modèle néolibéral, prônant la levée de toutes les entraves instituées par les États à la libre circulation des marchandises, des services et des capitaux. Ce dogme du libre-échange constitue, en fait, la traduction à l’échelle de l’économie mondiale, de la vision néolibérale au niveau national, préconisant le désengagement des États de la sphère économique.
Que le libre-échange provoque des distorsions au sein des économies en développement qui y sont mal préparées, et même y induise des crises économiques, sociales et financières aiguës, ne constitue pour les tenants du néolibéralisme que des incidents de parcours ou des dégâts collatéraux inévitables, qui ne remettent en rien en cause la validité du dogme.
La crédibilité de ce dogme vient, cependant, d’être mise à mal, non pas par un quelconque pays ou organisme anticapitaliste, mais par la première puissance économique mondiale, à savoir les Etats-Unis d’Amérique, pays où fut théorisé et mis en œuvre le néolibéralisme. Depuis son accession à la fonction suprême, le Président Donald Trump n’a cessé de multiplier la prise de mesures protectionnistes conformément à ses promesses électorales, au nom de l’intérêt de son pays :
– retrait des Etats-Unis du traité de libre-échange trans-pacifique,
– demande de renégocier le traité de libre-échange liant les Etats-Unis, le Canada et le Mexique (l’Alena),
– instauration de barrières tarifaires sur les produits chinois et sur-taxation des entreprises américaines qui délocalisent,
– instauration de nouvelles taxes sur les importations d’acier et d’aluminium.
Tant que les firmes américaines dominaient le système économique mondial, et que l’économie américaine bénéficiait, en conséquence, de l’ouverture des frontières, les Etats-Unis ne pouvaient que soutenir le dogme du libre-échange. Mais la donne a changé avec la montée en puissance des pays émergeants, notamment la Chine, et le renforcement de la compétitivité des entreprises des autres pays développés.
Le déficit commercial américain – dû à plus de 60 % aux échanges avec la Chine – passa hors de contrôle, et des pans entiers de l’industrie américaine furent sinistrés. La situation des classes populaires et aussi des jeunes diplômés américains, se dégrada nettement. L’opinion publique américaine bascula, dans ces conditions, en faveur du protectionnisme.
Le revirement américain montre, à l’évidence, que le dogme du libre-échange n’est fondé sur aucune rationalité économique et le libre-échange ne saurait constituer une fin en soi pour les économies nationales, notamment celles en développement, comme tentent toujours de l’accréditer les institutions de Bretton Woods. Il a servi, surtout, de prétexte à la domination de l’économie mondiale par les firmes nord-américaines et accessoirement celles des autres pays développés d’Occident.
Critiquer le libre-échange dans sa version maximaliste, ne signifie nullement prôner le protectionnisme. À l’heure où l’économie mondiale est de plus en plus intégrée, aucun pays n’a intérêt à demeurer à l’écart de cette dynamique. Cependant, l’intégration de tout pays en développement, comme le Maroc, à l’économie mondiale et son corollaire une plus grande ouverture aux mouvements des biens, des services, et des capitaux, doit être, contrairement à la démarche préconisée par les institutions de Bretton Woods, une action maîtrisée, bien réfléchie, échelonnée dans le temps en fonction de la capacité du tissu économique à faire face à la concurrence étrangère et à l’imprévisibilité des mouvements des capitaux, et guidée, en premier lieu, par l’intérêt que peut en tirer le pays.
Il devrait en être notamment ainsi, du processus d’assouplissement du contrôle des changes que les institutions de Bretton Woods pressent le Maroc d’activer, et qui devrait, selon la Banque mondiale, déboucher à moyen terme sur la pleine convertibilité du dirham. Croire que le Maroc pourrait instaurer la pleine convertibilité du dirham d’ici quatre ou cinq ans, et que son économie serait en mesure, alors, de résister à des attaques spéculatives massives contre le dirham, sachant que de telles attaques ont failli mener à la faillite lors de la crise financière de 1997/98, des économies asiatiques autrement plus solides que l’économie marocaine, c’est vraiment, à notre sens, faire preuve de beaucoup de légèreté.
La coopération avec les institutions de Bretton Woods
Le fait de montrer que les limites des politiques économiques d’inspiration néolibérale, préconisées par les institutions de Bretton Woods, constituent un frein à l’émergence économique de pays en développement comme le Maroc, devrait inciter nos décideurs en matière de politique économique dans le cadre de la refondation du modèle de développement marocain, à reconsidérer les bases de notre coopération avec les dites institutions. Le Maroc, au stade actuel de son développement, doit pouvoir concevoir sa propre stratégie nationale de développement, et ne pas dépendre à ce titre des recommandations et des prescriptions du FMI et de la Banque mondiale, dont le rôle consistera, en particulier, à apporter leur soutien technique et financier à cette stratégie nationale.
Se pose ainsi la question de la réforme des institutions de Bretton Woods, dont la communauté internationale est de plus en plus consciente de la nécessité, pour en faire, notamment, des organismes bannissant tout dogmatisme idéologique, et plus attentifs aux besoins réels des pays en développement.
Il est donc grand temps pour le Maroc de refonder sur de nouvelles bases son modèle de développement, conformément à l’appel royal, afin qu’il puisse répondre aux aspirations des citoyens à des conditions de vie meilleures. L’objet de cette contribution, est de démontrer que cette refondation, est subordonnée à l’affranchissement de notre politique économique des dogmes néolibéraux véhiculés par le FMI et la Banque mondiale. L’émergence économique du Maroc est à ce prix.
Mohamed Kabbaj